Traverser en Nouvelle Écosse

Notre passage de Gaspé (Qc) à Canso (NÉ).

Le passage entre Gaspé et la Nouvelle-Écosse se fait relativement bien par les Îles-de-la-Madeleine. Si on est désireux de prendre de l’expérience hauturière, c’est un excellent passage pour apprendre à naviguer sans repère des côtes… et de nuit.

Gaspé, les Îles et Chéticamp

Ce n’est pas notre meilleure photo.

Le séjour de Jean-du-Sud à Gaspé fut un compromis entre trois conditions nécessaires, soit a) une belle fenêtre météo; b) la livraison de pièces diverses; et c) l’arrivée d’un troisième équipier pour la traversée aux Îles-de-la-Madeleine. La marina de Gaspé a gentiment accepté de servir de boîte postale, et c’est le fournisseur Électro démarreur qui nous a livré quelques pièces d’équipement à remplacer sur le bateau.

Pendant l’attente des pièces et de l’équipage, le personnel de la place a d’ailleurs bien pris la peine de mentionner que l’école de voile « Le Cormoran » avait pignon sur rue à Gaspé, bien qu’elle n’était pas listée dans notre portrait des écoles de voile du Québec (note: mea culpa, elle avait un autre nom au moment du portrait). On y a aussi vu les bateaux des écoles de voiles de Normand Corbeil et de La Belle Vie Sailing et de l’Écomaris.

Nous avons apprécié la possibilité de travailler à même les locaux de la marina, ou au Café des Artistes. Le St-Hubert de la place est aussi le seul du Québec à servir des fruits de mer, mais on vous mentirait si on vous disait qu’on a pris autre chose que du poulet (salade de choux crémeuse, s’il-vous-plaît). Nous avons également apprécié le talent du personnel du bar de la marina, la Sarcelle, qui sait faire des cocktails qui dépassent ce qu’on voit d’ordinaire dans un Yacht Club.

Étang du nord. Toute cette étendue d’eau est à l’intérieur du bras de mer!

Aux Îles-de-la-Madeleine, nous sommes arrêtés au port de pêche de l’Étang du nord, de même qu’à Havre-Aubert. Que dire? C’est vraiment beau. Les Îles nous ont donné l’impression d’un mélange de cartes postales, de pêcheurs, d’une quantité incalculable de touristes, de quelques riches qui s’y installent… et de plein de bon monde qui essaie de tenir tout ça ensemble. C’est un gros concentré du Québec. Ne rêvez pas: vos serveurs aux restaurants seront des étudiants d’autres régions du Québec. Ils profitent bien de la pénurie de main d’œuvre pour passer l’été aux Îles à travers un emploi d’été.

Un champ de Tétrapode de béton.

À l’Étang du nord, nous avons passé un peu de temps à travailler au Café des Lupins, mais c’est tellement petit que s’y installer longtemps est un abus d’hospitalité.

C’est impressionnant de voir le potentiel de développement de ce port de pêche. Les bras de mer sont énormes et les possibilités d’ancrage sont nombreuses. L’équipe de gestion l’a bien compris, et les tétrapodes de béton qui sont livrés sur place témoignent des ambitions à transformer le port de pêche en marina. Pour le moment, il faudra cependant prévoir un séjour sans douches.

Havre-Haubert.

Havre-Haubert est tout ce qu’il y a de plus touristique et la marina y offre tous les services: douches, toilettes, wifi et du personnel de bonne humeur. Les quelques touristes qui y passeront verront peut-être un drapeau soulignant le passage de Jean-du-Sud en août, que nous avons laissé à la capitainerie. On peut y passer deux bonnes journées pour voir la place. D’abord pour les quelques commerces, mais aussi pour passer au Musée de la Mer. Dans notre cas, nous ne sommes restés qu’une journée, fenêtre météo oblige.

Jean-du-Sud à Chéticamp.

Notre arrivée à Chéticamp, soulignant notre départ du Québec et notre arrivée en Nouvelle-Écosse, fut surtout marquée par les considérations météo (ci-dessous). La ville est superbe, et on aura tôt fait d’y remarquer la vitalité du français. Il n’y a pas de marina sur place, mais un quai public et un port de pêche. La protection naturelle de la presqu’ile permet aussi de s’ancrer pratiquement n’importe où… à condition de ne pas bloquer le chenal étroit juste avant le quai de pêche!

Le reste de notre voyage nous aura fait passé par Port Hood (excellent ancrage), les écluses du détroit de Canso puis le village de Canso (excellent ancrage également).

Évidemment, inutile de vous dire qu’en traversant les écluses, on ne peut s’empêcher de penser qu’en face de nous, c’est l’océan Atlantique!

Quand Yves Gélinas m’a confié Jean-du-Sud, il m’a bien fait promettre de le ramener en eaux salées. Techniquement, l’eau salée débute à la pointe de l’Île d’Orléans, avec les marées hautes, mais ça ne serait pas faire honneur au bateau, ni au bonhomme, que de dire que c’est à ce moment que j’ai tenu promesse.

En recevant quelques embruns bien salés en pleine figure pendant la traversée entre les Îles et la Nouvelle Écosse, j’ai certainement proférés quelques sacres qui me faisait dire que j’étais en eaux salées. Cela dit, c’est vraiment après avoir franchi la baie de Chedaboucto, où le détroit de Canso s’ouvre sur l’Atlantique, que je me suis dit que j’avais tenu parole. Devant nous, l’Europe!

Tactiques de navigation

Le Golfe du St-Laurent, c’est presque la haute mer. On doit suivre attentivement l’évolution des conditions météorologiques et l’état de la mer.

Au moment de planifier la traversée vers les Îles, l’ouragan Ernesto se préparait à remonter la côte est américaine. La NOAA prévoyait des contrecoups aux Îles, avec une probabilité de 10% de vents supérieurs à 33 noeuds. La question stratégique était donc de décider quand partir: avant l’ouragan, ou après son passage. C’est bien sûr plus prudent d’attendre… quitte à signaler à l’équipage que la traversée attendrait quelques jours. Un plan de navigation prudent demande de parfois gérer les attentes.

Suivant la force de Coriolis et les trade route usuelles, les prévisions de la trajectoire d’Ernesto se sont cependant déplacées vers l’Est, laissant le Golfe du St-Laurent tranquille. Le seul hic fut son aftermath, soit un front froid venant du nord et remplissant le vide que l’Ouragan a laissé derrière. Ça nous laissait une fenêtre de 40 heures pour traverser aux Îles.

Sur Jean-du-Sud, un quillard de 30 pieds, il faut prévoir 36 heures pour traverser aux îles. Nous sommes partis de la marina de Gaspé aux petites heures du matin et sommes arrivés à l’Étang-du-nord vers 17h le lendemain. Nous avions espoir d’arriver à Havre-Aubert, mais après 33 heures, nous étions pratiquement en face de l’Étang alors qu’il restait encore 6-8 heures pour faire le tour de l’Île. C’est mieux d’éviter la tempête!

Un front derrière!

Nous avons traversé avec l’assistance du moteur. L’équipage aura certainement apprécié le passage de nuit pour apprendre à se repérer aux seuls instruments et au bruit des voiles.

Notre traversée était essentiellement au près, si bien que le fasseyement des voiles était également un indicateur d’une déviation importante de notre route. De nuit, on apprend à naviguer au bruit, aux quelques lumières éphémères de bateaux distants et bien sûr aux instruments. (Si le cœur vous en dit, sans pilote automatique! C’est la meilleure manière d’apprendre!)

Sur le plan de la météo, le modèle américain, conçu pour prévoir les ouragans, s’est avéré plus performant que le modèle européen (les deux disponibles sur PredictWind et Windy). Je soulignerais cependant que le modèle européen fut le seul à prédire correctement la présence de brouillard en pleine traversée. De manière plus générale, les modèles mondiaux de prédiction des vents performent mieux sur les grands plan d’eau, comme le golfe du St-Laurent.

Après un front, le beau temps! 30 minutes plus tard, nous étions à quai.

Pour ma part, j’ai renoué le plaisir de naviguer de nuit, seul et tranquille, avec quelques heures à ciel découvert pour se bercer avec les étoiles. Quelques heures sans tracas!

À Gaspé, on nous avait conseillé de partir de L’Anse à Beaufils, à peu près une journée au sud de Gaspé. L’avantage est de sauver le temps (et la fenêtre de marée) requis pour sortir de la baie de Gaspé … et pour avoir les vagues davantage sur le travers. Avoir eu un peu plus de temps, on aurait certainement adopté ce conseil.

L’arrivée à Havre-Haubert demande de passer par le chenal entre l’Île de Grande Entrée et l’île de Havre-Haubert. C’est étroit. On surveillera attentivement le profondimètre, les bouées et son positionnement GPS en temps réel. La bouée latérale bâbord située au nord du chenal est assurément plus à l’ouest que ce qui est indiqué sur les cartes. Ce faisant, on surveillera attentivement le profondimètre pour amorcer le virage vers la marina de Havre-Haubert.

Le chenal d’entrée à Havre-Haubert est étroit et bien balisé. On profitera assurément du feux d’alignement à la fin du chenal pour se positionner. Les cartes marines montrent que le chenal vers la marina est peu profond (0.9m au zéro des cartes), mais les appels à la marina – et l’expérience vécue – suggèrent une profondeur plus proche de 1.3 m au zéro des cartes. Dans le doute, attendez le mètre additionnel que procure la marée haute.

La traversée à Chéticamp fut conditionnée par la vitesse de coque de Jean-du-Sud: c’est à 50 milles nautiques de Havre-Aubert, soit une journée bien remplie. Nous avons également tenté d’éviter un front pendant la traversée, mais nous n’avons pas eu cette chance deux fois de suite.

À trois milles nautiques des côtes, nous avons pu vivre en direct les changements de météo propres à un front. Vivre une tempête en mer est toujours sportif et comprendre ce qui s’en vient est d’une aide inestimable pour préparer le bateau!

Avoir eu un bateau un peu plus rapide, nous aurions peut-être opté pour une traversée vers Souris (IPE) à 75 milles nautiques au sud des Îles. L’avantage de Souris est de pouvoir ensuite faire le saut vers le détroit de Canso tout en restant au travers (et on peu aussi mettre l’Île du Princ Édouard sur son carnet de visite!). Au contraire, le déplacement entre Chéticamp et Port Hood se fait presque assurément face au vent. La chance nous aura souri, parce qu’après le front post Ernesto, nous avons eu droit à une mer d’huile. Ce faisant, le leg entre Chéticamp et Port Hood fut des plus tranquilles… à moteur.

L’Écluse de Canso, vue de Jean-du-Sud.

L’écluse de Canso est très facile à passer. C’est une écluse parfaite pour apprendre, plus facile que celles sur le canal de Chambly. Les instructions nautiques sont claires et le personnel habitué de voir des voiliers. On se préparera cependant à attendre un peu, car l’écluse est souvent fermée quelques heures par jour pour des travaux. Nous avons dû attendre deux heures, bien peu de temps en comparaison aux autres voiliers qui étaient arrivées six heures plus tôt que nous…

La baie de Chedaboucto est typique des voies navigables de la Nouvelle-Écosse: remplie de chenaux qui se croisent, de dispositifs de séparation de trafic et de feux d’alignement. C’est essentiel de pouvoir se repérer sur carte, car on est très loin d’un plan d’eau linéaire comme le Fleuve St-Laurent. On peut facilement se tromper en naviguant à vue et savoir se positionner est essentiel. Ça vaut la peine, car les plans d’eau sont magnifiques.

Jean-du-Sud a renoué avec l’Atlantique. Il y sera pour quelques temps. Son Skipper doit y terminer quelques certifications de compétence et y donner quelques cours de navigation. Bien imprudente est la personne qui pourra prédire la suite.