Installation d’un train moteur sur un Alberg 30 (2ème partie)

Beta Marine 20
Beta Marine 20

Si jeunesse savait, si vieillesse pouvait.

Apocryphe

Quand j’ai dit à Yves Gélinas que j’installerais un train moteur sur Jean-du-Sud, il m’a découragé de le faire. « Tu vas y passer ta saison de voile », m’a-t-il dit. Revenant d’une traversée de l’Atlantique à la mi-juillet, je pensais être que l’installation me prendrait un mois et que je serais à descendre au sud à la mi-août. En date de la fin du mois de septembre, le moteur est bien installé sur ses supports, mais les systèmes auxiliaires (réservoir de diésel, pile et panneau de contrôle) sont toujours à installer. Ce billet identifie pourquoi autant de temps additionnel est requis. La réponse courte, bien sûr est « par ma faute », mais il est peut-être utile, pour les autres, de comprendre quels facteurs ont fait en sorte que ça m’a pris autant de temps.

1- Les projets de rénovation sont contagieux

L’installation d’un train moteur complet signifie qu’on travaille sur le bateau de la descente jusqu’à la proue. Dans ces parties, j’ai identifié que les systèmes électriques, la plomberie, les drains et la peinture avaient besoin d’attention. En d’autres termes, avec un bateau de cet âge et un projet de cette ampleur, il est pratiquement inévitable que d’autres projets d’entretien s’inviteront au calendrier. Par exemple, j’ai dû remplacer toute la plomberie des drains du cockpit, de même que les passe-coques associés.

J’ai démarré la planification et l’installation avec ce que j’appelle une vue « par système », signifiant que toute ma logique d’installation était centrée sur le système de train moteur. Je planifiais l’interdépendance entre les tâches à l’intérieur de ce que le train moteur exigeait. Cette approche est bien sûr utile, mais néglige l’interdépendance avec d’autres tâches sans lien avec le moteur. En des termes clairs, je n’ai pas anticipé le temps à consacrer à d’autres projets.

Un autre paradigme d’entretien est fondée sur la région du bateau, ce que je nomme une « conception régionale » d’entretien (à défaut d’un meilleur terme). Par exemple, au lieu de se concentrer sur l’installation du moteur, une conception régionale se concentrerait sur l’entretien de tout ce qui se trouve dans une région donnée du bateau: électricité, plomberie, etc. Cette conception est beaucoup plus proche de la manière dont se fait l’entretien en pratique: quand une région du bateau est préparée pour de l’entretien, c’est très tentant de faire tout ce qu’il y à faire dans cette région.

Les deux approches sont deux manière parfaitement acceptables de réfléchir à des projets d’entretien ou d’installation, mais il y a des arbitrages à considérer. Le premier est par rapport au temps, en particulier le temps immédiat vs le temps futur. Une vision régionale de l’installation augmentera certainement le temps total d’installation d’un système, mais sera globalement plus efficiente en termes de temps total consacré à l’ensemble des projets. Il faut donc réfléchir entre réduire le temps immédiat et le temps global. Si on cherche à réduire le temps immédiat, c’est mieux de se concentrer sur un seul système. Évidemment, cela augmentera le temps total, car il faudra, à un temps ultérieur, préparer une région de nouveau pour l’entretien d’une autre composante du bateau. Le deuxième arbitrage est sur le moral. Une approche centrée sur un seul système produira des résultats beaucoup plus rapidement, ce qui renforce le sentiment d’accomplissement plus rapidement. À l’inverse, une approche régionale prendra plus temps pour voir les résultats. Une personne qui se décourage facilement devant de long projets préférera peut-être une approche par système puisqu’elle est moins exigeante sur le moral. Le troisième arbitrage est en lien avec la planification. Une approche système est probablement plus facile à planifier qu’une approche régionale. L’envers de cet arbitrage est qu’une approche régionale s’impose presque d’elle même en pratique.

Comment décider de ces arbitrages de manière efficiente dépend de plusieurs contraintes: budget, temps immédiat disponible et projets d’entretien futurs. Chacune de ces dimensions pousse pour déplacer des projets à une date ultérieure.

J’ai démarré l’installation du train moteur avec une conception système de l’installation, mais j’ai migré vers un entretien régional vu l’état des travaux à faire. Je ne pense pas qu’il y a une conception correcte de faire des travaux, mais c’est une bonne idée de planifier un projet d’entretien en pensant que des projets qui ne sont pas planifiés s’imposeront.

Apprendre ne pas s’éparpiller sur de nouveaux projets pour se concentrer sur le projet principal fut une expérience d’apprentissage cruciale. Pendant l’installation, j’ai décidé de minimiser le temps consacré aux systèmes électriques (un autre projet à venir). J’ai aussi décidé de retarder le remplacement des cloisons. J’ai cependant remplacé les drains de cockpit, les passe-coques, refait l’espace moteur, les supports de moteur et peinturé l’ensemble de la cale arrière du bateau. Mon critère ultime de décision fut le degré de difficulté additionnel à faire ces tâches si je les faisais après l’installation du moteur. Les budgets ont aussi circonscrits l’étendue d’autres projets.

2 – La chaîne d’approvisionnement n’est pas instantanée

Une bonne amie à moi m’a dit que je passerais plus de temps que prévu sur des projets à cause des pièces à commander. « Tu vas voir, me disait-elle, tu vas attendre des pièces commander, retourner au magasin, et consacrer plus de temps aux commandes que tu ne le penses ». Je pensais être préparé à la gestion de l’approvisionnement en me fiant sur un fournisseur bien connu de l’Ontario. Je pensais être capable d’avoir des pièces en deux à quatre jours. Ça aussi, c’était une incompréhension de ma part quant à la manière de gérer le projet.

Le problème avec la commande de pièces en ligne est qu’on peut difficilement les voir et concevoir leur assemblage. C’est pratique quand on sait exactement ce qu’on veut. Quand j’ai reconstruit la plomberie et travaillé sur la fibre de verre, je n’avais pas assez d’expérience pour savoir exactement par où démarrer. À l’inverse, pouvoir évaluer physiquement l’assemblage des pièces m’a beaucoup aidé à comprendre leur assemblage et donc à commander les morceaux appropriés. À titre d’exemple, c’est mieux de découvrir quel volume représente un demi-kilogramme de silice avant de l’acheter (ce que j’ai fait en étant sur place). Le deuxième problème est que plusieurs produits ne sont fournis que par des fournisseurs spécialisés. Ça m’a pris deux bonnes journées pour trouver un fournisseur de chêne et un fournisseur de pièces de métal sur mesure. En somme, je savais que j’apprendrais sur la manière de faire certaines tâches, mais je ne m’attendais pas à prendre autant de temps pour identifier des fournisseurs.

Ici, je vois deux apprentissages. Le premier est que c’est utile de connaître des fournisseurs locaux avant de démarrer le projet, préférablement avec une bonne politique d’achat et de retour en magasin. C’est bien sûr utile d’avoir beaucoup de pièces en stock, mais si leur politique d’achat le permet, c’est utile de prendre quelques pièces différentes pour expérimenter au moment de l’installation pour retourner celles qui ne font pas en suite. Les fournisseurs locaux devraient être assez proches pour permettre une visite par semaine. La visite hebdomadaire sera aussi une manière d’apprendre par des conversations avec les vendeurs.

La deuxième leçon est que la livraison de pièces qui ne sont pas en stock prend plus de temps. J’ai du planifier de 5 à 6 jours pour les délais de livraison. J’ai eu quelques journées plus tranquilles, à faire du ménage et de la peinture, principalement parce que j’étais en attente de pièces.

S’il y en a parmi-vous qui font des rénovations dans la région de Québec, vous pouvez sauver quelques journées en connaissant ces fournisseurs:

  • Quincaillerie Martin est une quincaillerie marine, d’accastillage, de fibre de verre et qui fournit des pièces générales. Ils ont une excellente politique de retour, un bon stock de pièces et fournissent des pièces spécialisées en environ cinq jours.
  • Spécibois est une scierie spécialisée. Ils fournissent une soumission rapidement et ont plusieurs essences de bois.
  • L’Atelier Mécanique Boivin est une boutique d’usinage de pièces. Leur focus est sur les voitures et les camions, mais ils sont capables de fournir des pièces sur mesure si on leur donne les bonnes spécifications. Ils travaillent très rapidement.

Je n’ai eu aucun rabais. Ce sont de bons fournisseurs, gérés par de bonnes personnes, qui font le travail.

3- La préparation et le design prend beaucoup de temps

La plupart des tâches demandent un temps important de préparation. La tâche elle-même requiert très peu de temps. Une bonne illustration de cette idée est l’installation du panneau de contrôle. Une stratégie naïve de planification et de préparation serait de penser à couper le trou du panneau de contrôle dans le cockpit et ensuite d’attacher le panneau de contrôle au cockpit. Aussi simple que dans les émissions de cuisine!

J’avais cette conception de la préparation et du design avant de démarrer l’installation. Habitué à réfléchir à haut niveau, mon plus grand apprentissage fut sur l’importance de planifier chaque détail. Tailler un trou dans le cockpit expose le laminé de la coque, si bien que s’il n’est pas recouvert adéquatement, il va pourrir. Il faut donc prendre du temps de tailler une enclave dans le laminé et entre les couches de fibre de verre pour ensuite le remplir de résine d’époxy. (Un peu comme le fait un dentiste avec une carie). Cette étape demande du temps additionnel de préparation et demande du temps pour que la résine durcisse. De même, si on veut protéger les fils électriques à l’arrière du panneau de contrôle, il faut construire un boîtier de protection. Finalement, si on veut éviter que le panneau lui-même soit trop exposé à l’eau de mer, l’enchâsser dans un boîtier de protection est également une bonne idée. Il faut également réfléchir à la manière d’attacher solidement le tout au cockpit: taille des boulons et des écrous, la taille des mèches de perceuses, etc.

Ça m’a pris une bonne journée pour faire le design de ce que j’avais en tête. J’avais alors besoin d’acheter des pièces que je n’avais pas avec moi (voir le point précédent). Il m’a fallu deux bonnes journées pour construire et peinturer les morceaux que je pouvais faire sur place. Bref, ce que je pensais qui prendrait une journée en a pris à peu près six, en excluant les sept journées pour laisser la résine durcir, mais incluant le temps de livraison des pièces. Quand tout fut prêt pour l’assemblage, l’installation du panneau de contrôle a pris 20 minutes. C’est beaucoup de sundeae pour une petite cerise!

Le panneau de contrôle est juste un exemple parmi d’autres, mais le pattern se généralise très bien à l’ensemble des tâches. La pose de la fibre de verre sur les supports du moteur prend une vingtaine de minutes, mais commander la fibre, couper les pièces et préparer les surfaces demande un minimum de deux journées. Une bonne règle approximative est de multiplier le temps d’installation par trois pour inclure le temps de préparation et de design. Une journée pour le design et la commande de pièces, une journée pour la préparation et finalement une journée pour l’installation.

4- Avoir le bon équipement aide

Ce n’est pas nécessaire d’avoir un établi complet pour faire l’installation d’un moteur. Les outils les plus fréquemment utilisés sont un bon ensemble de clés à molette, un tournevis multi-tête, une perceuse, des pinceaux et une scie circulaire. La plupart du temps, le projet a progressé avec ces outils. Cependant, trois outils spécifiques ont grandement réduit le temps d’exécution lors des tâches liées à la fibre de verre.

4.1 Un outil oscillant

C’est un must. L’outil aide à couper la fibre de verre, le bois, la résine d’époxy et pratiquement tout ce qui se trouve sur son chemin. Je ne dis pas que ça guérit le cancer, mais c’est à élever au rang des merveilles technologiques. Si vous avez assez de budget pour acheter la version avec un aspirateur intégré, c’est encore mieux: vous sauverez du temps de ménage.

Je ne vois juste pas comment on peut faire des tâches de préparation de la fibre de verre sans cet outil.

(Ne trouvez-vous pas que le terme « outil oscillant » est tellement vague qu’il pourrait également décrire un vibrateur? Une question pour ceux et celles qui font de la voile en solitaire…)

Oscillating Saw
Outil oscillant.
Dremel Tool
Un outil Dremel

4.2 Un kit Dremel

J’avais déjà ce kit dans mes outils avant de démarrer l’installation. Il s’est lentement imposé comme outil très utile.

Il permet de faire les petites tâches où un grinder, une sableuse ou une perceuse ne peuvent pas fonctionner. Ce n’est pas un outil essentiel, mais ça rend certainement les choses plus faciles. .

4.3 Un grinder

Avec des disques pour polir et couper le métal, un grinder est un outil essentiel. Ça accélère tout le travail de préparation de fibre de verre. En comparaison, je n’ai presque jamais utilisé de sableuse.

Un grinder est un outil puissant. Il faut porter attention à porter un masque, des gants et des lunettes de protection à l’usage.

A Grinder
Un grinder

5- La météo joue un rôle

Cette affirmation ne devrait pas être une surprise pour des gens qui font de la voile. À quel point une personne travaille sur son voilier par jour de pluie est une décision personnelle. J’ai décidé de consacrer les journées pluvieuses à mes affaires personnelles et de ne pas travailler sur Jean-du-Sud. Bien sûr, cette décision rallonge l’exécution de l’installation.

6- J’ai toujours une vie

Les autres aspects de ma vie demandent également de l’attention en dehors du projet d’installation. Ma semaine de préparation au brevet du RYA est probablement la plus importante. C’était une pause bienvenue pendant l’installation, mais ça a bien sûr ralentit les travaux.

Cela dit, mes obligations professionnelles et familiales m’ont également extirpé du projet d’installation à quelques reprises. Quand un membre de la famille vient visiter, c’est mieux de venir la voir que de rester dans le bateau! Ce sont toutes des pauses bienvenues, mais elles augmentent le temps d’installation.

7- J’apprends encore et je fais encore des erreurs

Les six éléments précédents négligent l’éléphant dan la pièce: moi. Jean-du-Sud est mon premier bateau et l’installation du moteur est mon premier projet. En rétrospective, une installation de moteur est une grosse commande pour un nouveau. Go big or go home.

Je pensais bien sûr que j’apprendrais énormément en faisant ce projet. J’ai appris et dans l’ensemble, j’ai bien compris les choses à faire. Mais apprendre prend du temps. Pour donner une idée, comprendre quelles résines vont avec quelles fibres de verre et lesquelles sont utiles pour quels types de travaux m’a pris du temps. J’avais également plusieurs questions aujourd’hui triviales, mais qui ne l’étaient pas avant d’avoir fait les projets. À quoi ressemble de la fibre de verre exposée? Devrait-on couper des backing plates? Devrais-je remplacer des câbles électriques ou simplement les couper? La liste originale était longue. Avec de l’expérience, j’ai développé un sens de ce qui peut-être fait et j’ai arrêté de théoriser la bonne approche. Pour cette raison, ma seconde installation de passe coque a pris la moitié moins de temps que la première.

J’ai aussi fait des erreurs. Les deux plus importantes sont liées à la fibre de verre. J’ai sablé les supports de moteur originaux sans mettre de plastique de protection pour limiter l’émission de la poussière. En conséquence, il y avait de la poudre de fibre de verre à deux endroits importants: 1) dans la cale; et 2) partout. C’est une journée complète d’une personne qui est consacrée au nettoyage et à l’époussetage. J’ai fait cette erreur deux fois. Apprendre prends du temps.

La deuxième erreur importante est que j’ai oublié de nettoyer le trou d’un passe coque pendant l’installation d’une backing plate. La résine d’epoxy a coulé sur le passe coque servant d’attache temporaire pendant que la résine durcissait. En conséquence, le passe coque a figé dans l’époxy sans être étanche. J’ai dû sabler la pièce, la jeter et en commander une nouvelle (voir point 2). Ça m’a couté un bon après-midi de travail. Il va sans dire que maintenant, je nettoie mes trous quand je pose des passe-coques…

Conclusion

An installed engine
Un moteur posé sur ses supports.

Le moteur est maintenant posé et aligné sur ses supports. Les supports et l’espace moteur sont neufs. Les passe-coques et la plomberie autour du moteur sont neufs. J’apprends énormément de cette démarche et ça m’a rapproché du bateau. Il y a encore du travail à faire pour terminer l’installation, mais d’avoir le moteur sur son support est très satisfaisant.

Certaines personnes découragent le travail sur les bateaux parce que c’est du temps qui n’est pas consacré à faire de la voile. Je reconnais certainement que j’ai fait très peu de voile au mois d’août (une semaine!), mais j’ai une plus grande confiance dans ma compréhension des systèmes embarqués. Je ne pense pas changer l’avis de quiconque sur ces questions. Certains préfèrent avoir recours à des techniciens. D’autres avec une mentalité d’ingénieur font et défont tout ce qu’ils touchent. Je ne peux qu’imaginer que les deux approches ont leur part égales de frustrations.

Dans le troisième et dernier texte lié à l’installation du moteur, je vais souligner cinq techniques ou cinq design que j’aurais aimé savoir avant de démarrer l’installation. Le texte sera plus pratique et aidera peut-être les autres à réduire le temps d’exécution de leurs projets.

Remerciements

Un proverbe africain dit qu’il faut un village pour élever un enfant. Bien que j’étais au centre de l’installation du moteur, j’ai eu beaucoup d’aide. Je tiens à remercier, Julier DT, Alexis L, Patrick M, James Frederick, Sylvain D, Maryline P, Ben Gartside, John Ray et Philip Locker, mes parents les personnes de la page Facebook des propriétaires d’Alberg 30. Bien sûr, toutes les erreurs demeurent les miennes.