S’il existe une manière plus sécuritaire que celle du RYA pour récupérer une personne à la mer, le RYA adoptera cette nouvelle manière et l’enseignera.
Dave DeWolfe, instructeur RYA.
Note: ce texte fut publié le 9 septembre, puis modifié le 11 septembre pour intégrer quelques corrections concernant les équivalences entre les cours théoriques du RYA et de Voile Canada. La version originale mentionnait que les cours du RYA étaient équivalents aux cours intermédiaires de Voile Canada alors qu’ils correspondent mieux aux niveaux intermédiaires et avancés combinés.
Le Royal Yachting Association est l’organisation britannique responsable d’administrer les programmes d’instruction de voile sur quillard. Ces programmes diffèrent des programmes de Voile Canada, notamment pour leur réputation mondiale et parce qu’un d’entre-eux mène à une licence commerciale de navigation à voile (ou à moteur). C’est également une organisation qui se modernise constamment et s’adapte aux besoins de navigation des marins. On réfère souvent à son programme YachtMaster, composé de trois niveaux (coastal, offshore, et ocean), comme étant « l’étalon or » en matière de compétences à voile.
J’ai récemment suivi les cours de préparation au YachtMaster Offshore, fait les examens théoriques et pratiques et ai obtenu le brevet. Je discute ci-dessous des onze différences les plus marquantes avec le programme de voile de quillard de Voile Canada.
1- Au Canada, c’est en Anglais
Au Canada, les quelques écoles qui donnent le programme du RYA sont en Colombie-Britannique et en Nouvelle-Écosse. Les formations sont donc données en Anglais. (Il y a toutefois des centres de formation qui sont en France ou dans les Caraïbes. Il serait donc possible de suivre le cours en français.) À savoir si suivre le cours en anglais est une bonne idée ou non dépend largement de votre maîtrise de la langue de Shakespeare, mais je soulignerai ici que quiconque a l’ambition de faire de la voile avec des équipiers en dehors du Québec devrait maîtriser le vocabulaire de base permettant de manœuvrer un voilier. On sait à quel point le vocabulaire de voile est particulier et cette particularité est tout aussi vraie en anglais!
2- On cible les professionnels et les plaisanciers
Le programme de YachtMaster n’a pas d’ambition de former des candidats pour des régates. Les instructeurs sont des capitaines professionnels qui doivent démontrer de cinq à huit années d’expérience avant même de pouvoir penser à enseigner. Les cours sont donc riches d’expériences et orientées vers les besoins des plaisanciers et des professionnels. Les différences notables sont détaillées ci-dessous, mais on met beaucoup plus d’emphase sur la planification et l’exécution de plans de navigation.
3- L’approche est complète
Chez Voile Canada, la séquence de cours se décompose en alternance entre théorie et pratique. On peut faire son cours de voile élémentaire sans avoir à faire, par exemple, de la navigation à l’estime. Règle générale, il faut ensuite faire son cours théorique (navigation) pour avoir accès au niveau suivant (intermédiaire, avancé).
Au RYA, la distinction entre les niveaux – Coastal, Offshore et Ocean – est basée sur l’expérience: la théorie pour le niveau Coastal et Offshore est la même. Elle est également très complète: on doit apprendre la navigation sur carte, la navigation électronique, la navigation au radar, les règles d’abordage, la météo et surtout, la planification de passages.
Le niveau des cours théoriques est équivalent aux cours combinés des cours de navigation côtière intermédiaire et avancés. On y met une emphase sur une maîtrise rigoureuse des règles internationales de prévention d’abordage en mer. Une incompréhension manifeste des signaux lumineux, des règles de prévention d’abordage et des signaux sonores est une recette pour l’échec avant même de se rendre au cours pratique.
Pour le niveau Ocean, les choses sont légèrement différentes: on demande une maîtrise de la navigation astronomique et la démonstration d’un passage hauturier réussi. À ce niveau, les examens durent 45 minutes et cherchent à vérifier que la maîtrise du sextant est adéquate, de même que les calculs de position.
Pour le Offshore et le Coastal, les candidats ont d’abord à faire quatre examens théoriques. Deux d’entre-eux sont centrés sur la planification de passages et l’un d’entre-eux cible les règles de prévention d’abordage. Le dernier est général, allant des calculs de marées au calculs de dérive vent/courant. Avant de pouvoir faire la semaine de préparation pratique, les candidats doivent réussir les quatre examens théoriques.
4- On développe des compétences de navigation électronique
Je ne comprends pas pourquoi le programme de Voile Canada ne met aucune emphase sur la navigation électronique avant son cours avancé. La navigation « à la tablette » est de facto la manière dont la plupart des professionnels et plaisanciers s’orientent. Pourquoi ne pas leur apprendre à en faire un usage intelligent?
Le RYA enseigne des techniques modernes de navigation à l’aide d’instruments modernes, dont le radar et les logiciels usuels de navigation (OpenCPN, Navionics, etc). On enseigne comment faire usage des « waypoints » pour faire des relevés, faire usage des « cross track error » pour des segments de passages difficiles et à faire usage des différences entre le vecteur de route sur le fond et le cap pour naviguer. C’est extrêmement utile, notamment pour la navigation par visibilité réduite.
Attention à ceux et celles qui détestent la navigation à la carte: la semaine pratique de préparation à l’examen se fait sans électronique, notamment parce que la navigation à l’estime est généralement moins maîtrisée des candidats. On apprend également à intégrer les dérives vents/courants dans la planification de passages. Le cours ne pourra être réussi sans une maîtrise complète de la navigation à l’estime. L’approche RYA vise un usage moderne en navigation, mais elle vise également à ce que les candidats aient une maîtrise globale de chacun des outils de navigation à portée de main.
5- On met l’emphase théorique sur la planification
Les cours théoriques sont orientés vers deux compétences générales: 1) savoir faire des plans de navigations rapidement et 2) évaluer s’ils devraient être exécutés. L’emphase est sur les plans de pilotage et le big picture menant à l’exécution de la route que prendra un voilier. On vise à évaluer les risques, les fenêtres de passage dans les endroits à forts courants (ou à fortes marées) et ainsi de suite. Évidemment, la conception de chaque dimension d’un plan de passage est couverte: calculs des courants et marées et calculs des caps à prendre en fonction de dérives vent/courant. Cela dit, ils ne sont enseignées qu’une fois et ensuite pris pour acquis. C’est lors de la construction de plans de passage qu’ils reviennent pour évaluer les conditions à travers lesquelles le plan devrait s’exécuter.
6- L’approche des marées est adaptée au Royaume-Uni
La partie la moins utile du cours est celle portant sur les marées. On enseigne la méthode « graphique » de calcul des marées, tirées des tables du Royaume-Uni (image ci-dessous). Lorsqu’elle est applicable, elle est plus performante que la « règle des sixièmes » ou les tables génériques de marees.gc.ca (une « règle des dixièmes »), car elle permet d’incorporer les écarts historiques moyens par rapport à une courbe sinusoïdale. Ces écarts sont passablement importants au début et à la fin du cycle de marée. L’exemple ci-dessous montre un écart important entre six heures avant la marée haute et deux heures trente avant la marée, particulièrement aux grandes marées. En guise de contraste, l’approche de calcul des marées préconisée par Transport Canada est une conversion d’une courbe sinusoïdale en table et adaptée au marnage du cycle de marée. Elle néglige donc les écarts historiques moyens.
Cela dit, la représentation graphique est mieux adaptée aux endroits où une seule marée se produit par jour (marées diurne). Comme ce n’est pas le cas au Canada et aux États-Unis, l’approche graphique ne traduit pas correctement une marée sur deux, si bien qu’elle est mésadaptée. Pour fins de réussite théorique, on s’attendra cependant à une maîtrise de cette approche.
7- Les séances pratiques sont sur mesure
Les séances pratiques prennent place au cours d’une semaine, à bord d’un voilier « classe A ». Les prérequis pour être admis au programme de YachtMaster sont un minimum de 50 jours en mer, un minimum de 3 jours à titre de capitaine, un minimum de 2500 MN navigués, un minimum de cinq passages de plus de 60 MN, dont au moins un de nuit et un à titre de capitaine. En d’autres termes, les gens arrivent à la semaine de préparation avec un certain bagage d’expérience… mais aussi avec des défauts accumulés au fil du temps.
C’est vraiment dans l’exigence de ces pré-requis qui permet au programme de se distinguer, car les instructeurs vont évaluer votre expérience préalable et déterminer à quoi votre semaine pratique devrait ressembler. Il faut ainsi comprendre que ma semaine de préparation fut fort différence de la semaine de préparation d’autres candidats. L’approche diffère certainement de celle préconisée par Voile Canada, avec un syllabus de cours pré-établi, où tous doivent passer à travers une liste d’éléments du plan de cours.
L’idée générale de la semaine est d’identifier et de renforcer les points faibles des candidats. Pendant ma semaine de cours, les faiblesses des trois personnes à bord (moi inclus) étaient, sans cibler une personne particulière, un manque d’expérience au radar, un manque d’expérience en navigation à l’estime, peu ou pas d’accostages fait à voile et peu d’accostages de nuit. Conséquemment, nous avons fait toute la semaine sans navigation électronique et nous avons fait de multiples accostages de nuit et à voile.
D’autres techniques générales sont également enseignées au fil du cours, dont les manoeuvres de récupération de personnes à la mer, notamment parce que les techniques du programme YachtMaster diffèrent de celles enseignées par Voile Canada.
8 – Personnes à la mer: les techniques sont plus fiables
Sur la base de notre semaine de préparation, les méthodes du RYA permettent de récupérer des personnes à la mer en moins de deux minutes. La méthode requiert également moins de manoeuvres et est donc moins susceptible de mener à des erreurs ou à de la confusion.
Mais surtout, les techniques enseignées par le RYA font usage du moteur! Les techniques enseignées couvrent également un cas de figure sans moteur, mais celle qui est principalement préconisée fonctionne à moteur.
En guise de contraste, la méthode de Voile Canada (travers, virement de bord au grand largue, déventer) prends du temps, requiert plus de manoeuvres et n’utilise pas la manœuvrabilité que procure le moteur.
Sur ce point, le programme de YachtMaster est très convaincant: je ne vois aucune bonne raison d’employer la technique enseignée par Voile Canada.
9 – On met l’emphase pratique sur l’attitude et sur la maîtrise du bateau
Les évaluateurs feront exprès pour vous mettre dans des situations d’urgence ou des situations qui ne sont pas planifiées. L’approche est souvent par scénario et on fera exprès pour nous dire que le moteur ne fonctionne pas, ou encore qu’il y a un problème électrique à bord. À titre d’exemple, on nous a demandé de naviguer à l’estime, à partir du carré (et sans regarder par les hublots) pour nous rendre à un point donné sur la carte, en ne donnant que des instructions aux équipiers (qui eux manœuvrent le voilier).
L’idée centrale de ces exercices est d’évaluer si les candidats sont toujours en contrôle d’eux-mêmes, de l’équipage et du bateau. Les instructeurs sont plus intéressés à évaluer la résilience et la compétence que la réussite du premier coup. Une recette garantie pour l’échec est de se déclarer incapable de faire une tâche, que ce soit dans l’immédiat ou après quelques essais. Le programme YachtMaster cherche une démonstration de compétence et de maîtrise du bateau en toutes circonstances.
La différence avec Voile Canada est conceptuelle et plus nuancée. Le RYA se concentre sur la capacité d’exécuter des tâches tirées de scénarios (« vous amenez des plongeurs au point X, vous n’avez que des cartes, et devez le faire en moins de 30 minutes ») plutôt que l’enseignement de procédures (empannages, virement de bord, etc.).
10 – On peut vous recommander d’attendre avant de faire l’examen
Bien sûr, si vous n’avez pas les pré-requis, vous ne pourrez vous inscrire ni au cours, ni à l’examen. C’est la même chose pour Voile Canada. Cela dit, on peut aussi vous recommander de ne pas faire l’examen après votre inscription. Si vos résultats théoriques sont trop faibles (< 70%), on peut vous refuser l’accès à la semaine de préparation pratique. Si l’instructeur estime que vous ne réussirez pas l’examen, il peut vous le dire.
Cela veut dire que même si ce n’est pas le début de l’examen à proprement parler, votre évaluation débute au premier jour de la semaine de préparation. Les instructeurs vont évaluer si vous devriez faire l’examen ou non, et si oui, à quel niveau (Coastal ou Offshore). C’est possible qu’à la fin de la semaine, on vous recommande de ne pas faire l’examen, ou qu’on vous recommande de ne pas faire le niveau Offshore. Je suspecte que c’est à ce point que le taux d’abandon est le plus élevé, c’est-à-dire que le taux de succès des candidats qui sont recommandés à l’examen est probablement élevé.
11 – Votre instructeur n’est pas votre évaluateur
Chez Voile Canada, les examens sont normalisés et corrigés par votre instructeur. Au programme de YachtMaster, les examens durent 12 heures, sont sur mesure et fait par un instructeur d’une autre école de voile. La personne qui vous fait faire l’examen n’a pas vu votre syllabus de la semaine, ni ne vous connaît. Il vous fera faire des choses que vous n’avez pas nécessairement vues pendant la semaine. On cherche à évaluer des compétences générales. L’approche est de passer rapidement sur les éléments pour lesquels vous avez une compréhension/maîtrise manifeste et de mettre plus de temps sur les éléments que vous comprenez/maîtrisez moins. C’est de cette manière que s’est déroulé mon examen et comme le suggère le vidéo ci-dessous, ça semble être la pratique générale.
Un candidat de mon groupe a eu à faire un quizz plus long sur les règles de prévention d’abordage en mer, un autre a eu à faire des manoeuvres dans des espaces restreints et un autre n’a pas eu à faire de navigation de nuit. Bref, on cherche à évaluer à quel point vos points faibles sont critiques et on laisse passer les points mieux maîtrisés.
Conclusion
Le programme YachtMaster peut être endossé commercialement, ce qui signifie que le certificat de compétence est estimé assez fiable pour faire de la voile à titre de professionnel. Il a aussi une solide réputation internationale. Ce faisant, les exigences sont plus élevées et différentes de celles de Voile Canada. L’approche en est une qui relève davantage du contrôle de qualité et de perfectionnement que d’apprentissage des notions de base. Au début du programme de YachtMaster, on présume que vous avez les compétences pour manœuvrer un voilier (« competent crew » ou « quillard élémentaire »). Ce n’est pas dans ce cours que vous apprendrez ces notions.
Le cours coûte environ 4000 CAD, soit environ 3500 CAD pour le cours lui-même et 500 CAD pour faire l’examen. Vu ce prix et les pré-requis, on voit peu de candidats plus jeunes.
Personnellement, j’ai trouvé que les difficultés additionnelles qui sont requises pour ce cours sont très utiles. Si on sort son voilier du Québec, ou si on navigue avec d’autres, il m’apparaît crucial de pouvoir manœuvrer en anglais. J’ai aussi appris des techniques que je ne connaissais pas auparavant. Cela dit, le point qui m’a le plus convaincu à suivre cette formation est la crédibilité internationale du brevet. Si vous cherchez à louer un voilier à l”étranger, la différence est notable. La différence est aussi notable sur le marché de l’assurance.
Vu l’ampleur du cours et des pré-requis théoriques, je ne pense pas que le cours soit pour le premier venu. J’ai démarré mon étude un mois d’avance, avec une bonne connaissance de la météo marine, des règles de prévention des abordages et de la navigation à l’estime. Je vois mal comment une personne qui maîtrise superficiellement ces concepts pourrait réussir la théorie et donc, réussir le cours. Sur le plan pratique, on tolère une plus grande pluralité des approches. On cherche surtout à évaluer si vous êtes constamment en contrôle de vous-même, de l’équipage et du bateau.