Résoudre algébriquement le cap à prendre

La plupart des techniques de navigation enseignées pour identifier le cap à prendre reposent sur l’addition graphique de vecteurs. C’est la technique qui exige le moins de connaissances en mathématiques.

J’ai récemment écrit un logiciel qui permet de produire ces figures, notamment pour aider les étudiants à apprendre la méthode graphique. Ironiquement, ça m’a obligé à me plonger dans les mathématiques du problème, permettant à un ordinateur de trouver le cap à prendre.

Dans ce type de problème, on suppose que la vitesse de surface du bateau est connue et que la direction de la route sur le fond est également connue. Ce qu’il faut trouver, c’est le cap à prendre et la vitesse de fond.

Comme le problème repose sur un système de deux équations impliquant des fonctions trigonométriques, j’étais convaincu jusqu’à tout récemment que le problème n’avait pas d’expression mathématique explicite permettant d’identifier la solution. Je pensais ainsi qu’il fallait identifier la solution numériquement, à partir d’équations implicites.

Il s’avère qu’il existe une solution explicite. Si nous désignons la direction de la route surface par \theta_s et que nous supposons être sur une portion suffisamment petite de la terre pour négliger sa courbure, la solution peut être trouvée en calculant :

\theta_s =\theta_g -\sin^{-1}\left(\frac{v_d}{v_s}\sin\left(\theta_d-\theta_g\right)\right),

\theta_d est la direction du courant, \theta_g est la direction de la route sur le fond, v_s est la vitesse de surface et v_d est la vitesse du courant. Si une calculatrice est à bord, cette formule est peut-être plus facile (et définitivement plus précise) que l’approche graphique d’addition de vecteurs.

Dans la figure au début de ce billet, il y a une construction d’une heure d’un problème de cap à prendre qui est complètement résolu. En utilisant les données contenues dans la Figure et connues avant la résolution du problème, la formule donne :

\theta_s = 135-\sin^{-1}\left(\frac{2}{5}\sin\left(220-135\right)\right) \approx 111.52°,

ce qui est la valeur présentée dans la Figure (arrondie).

Avant d’examiner comment obtenir cette formule, il convient de mentionner trois choses.

Tout d’abord, quelques excuses aux physiciens formés à nommer certains scalaires et certains vecteurs de manière spécifique: j’utilise ici le mot « vitesse » pour décrire ce que vous appelleriez « vélocité ».

Deuxièmement, la formule a une interprétation intuitive : le cap à prendre \theta_s est égal à la direction désirée sur le fond \theta_g à laquelle on apporte une correction (-\sin^{-1}\left(\frac{v_d}{v_s}\sin\left(\theta_d-\theta_g\right)\right)). Cette correction est une fonction de l’intensité du courant, mesurée à la fois par sa vitesse relative (v_d/v_s), mais aussi par la différence entre les directions. Le plus fort est la vitesse du courant, la plus grande est la correction. Plus l’écart entre la direction du courant et la route sur le fond est proche de la perpendicularité, plus la correction est grande. Inversement, si le courant est nul, ou si la direction du courant est égal à la direction de la route de fond, alors la correction est nulle.

Dans l’exemple ci-dessus, la correction est de 23°.

Troisièmement, si l’écart de direction entre le courant est la route de fond est faible, on peut employer une approximation pour simplifier la formule davantage.

La dérivation

La dérivation s’appuie sur des équations ordinaires de conservation du mouvement dans un espace euclidien à deux dimensions. La décomposition suivante doit être vraie pour conserver le mouvement:

v_s \cos(\theta_s) + v_d \cos(\theta_d) = v_g \cos(\theta_g),\\
v_s \sin(\theta_s) + v_d \sin(\theta_d) = v_g \sin(\theta_g),

v_g et \theta_s sont les inconnues. En isolant v_g et en l’éliminant en égalisant les deux équations donne:

v_s\frac{\cos(\theta_s) }{\cos(\theta_g)} + v_d \frac{\cos(\theta_d)}{\cos(\theta_g)} = v_s \frac{\sin(\theta_s)}{\sin(\theta_g)} + v_d \frac{\sin(\theta_d)}{\sin(\theta_g)}.

Avec un peu d’algèbre (!), on obtient:

v_s\left[\sin(\theta_g)\cos(\theta_s) - \cos(\theta_g)\sin(\theta_s)\right] = v_d \left[\sin(\theta_d)\cos(\theta_g) - \cos(\theta_d)\sin(\theta_g)\right].

Vous souvenez-vous du jour où votre professeur de mathématiques du secondaire vous a dit que vous deviez vous rappeler des identités trigonométriques ? Moi non-plus.

Je suis resté bloqué à cette étape pendant un certain temps, me disant que j’allais simplement résoudre cette équation numériquement.

Mais récemment, je me suis amusé à faire des prévisions de marées, utilisant des identités trigonométriques. Ça m’a fait prendre conscience que les expressions entre crochets peuvent se simplifier. On se rappelle que:

 \sin(a)\cos(b) - \cos(a)\sin(b) = \sin(a-b),

et ainsi:

v_s\sin(\theta_g - \theta_s)= v_d\sin(\theta_d-\theta_g).

À ce point, le travail est terminé: il suffit de diviser par la vitesse de surface et de prendre l’inverse du sinus pour identifier le cap à prendre.

Cette expression est elle aussi très intuitive. Elle stipule que la déviation de cap par rapport à la route de fond doit être tel qu’elle compense exactement pour la composante du courant qui fait dévier de cette route. C’est littéralement la logique de la navigation en crabe codifiée en mathématiques: on point le bateau de manière à contrecarrer le courant.

En isolant \theta_s, on trouve alors l’expression en début de texte. Cette solution se traduit par une ligne de code dans le logiciel de traçage de routes :

Simplifications additionnelles

Quand la direction du courant est suffisamment proche de la route de fond, on peut utiliser le fait que \sin(x) \approx x pour simplifier l’expression davantage:

\theta_s \approx \theta_g -\frac{v_d}{v_s}\left(\theta_d-\theta_g\right).

La pratique usuelle est de ne pas employer cette approximation pour moins de 20 degrés. Conséquemment, son usage demande que l’écart entre les deux vecteurs (route et courant) ne soit pas supérieur à 20 degrés.

Conclusion

Rien dans ces pages n’est foncièrement nouveau. Ce n’est qu’un développement utile pour fins de navigation. Si on a une calculatrice à portée de main, il permet de calculer rapidement le cap à prendre, possiblement plus rapidement qu’avec une construction graphique. Cela dit, ça ne sera jamais aussi rapide qu’avec un ordinateur de bord.