L’automne cédant lentement sa place à l’hiver, je suis en train de faire le tour des systèmes électriques sur Jean-du-Sud, notamment pour voir dans quel état ils sont, mais aussi pour comprendre comment ils sont installés et jauger d’éventuels besoins de réparation.
Ce billet est le premier d’une série portant sur les systèmes électriques à bord de Jean-du-Sud. Il porte sur les contrôleurs de charge à point de suivi de puissance maximale. Ce « point de suivi de puissance maximale » est plus fréquemment nommé en anglais, soit le « maximum power point tracking », popularisé par l’abréviation « MPPT ». Bref, ce texte donne une explication de ce que sont ces contrôleurs de charge MPPT. Technologie oblige, nous verrons également comment fonctionnent des piles (des « batteries »).
Les contrôleurs de charge en trois paragraphes
Pour la majorité des installations marines propres aux carrés ou aux cabines, la loi d’Ohm (V = RI) fournit l’essentiel de la théorie à comprendre pour installer des câbles, changer l’équipement et tester des circuits électriques. On est dans un environnement très proche des systèmes idéalisés enseignés dans les cours d’électricité de base.
Par contre, dans un environnement où la tension et l’ampérage changent constamment, on s’éloigne rapidement des systèmes idéalisés. C’est notamment le cas quand la source d’énergie fluctue constamment. De même, les piles sont des technologies qui demandent une compréhension qui s’éloigne des systèmes idéalisés
En substance, un contrôleur de charge vise à faire le pont entre l’environnement changeant et les batteries pour réguler à la fois la tension et l’ampérage. C’est une technologie qui convertit un système continuellement changeant en système idéalisé. Ce faisant, il aide à prolonger la vie des batteries. Les contrôleurs de charge MPPT ont de plus une qualité additionnelle, à savoir qu’il fourniront l’environnement de charge une puissance maximisée de manière à accélérer leur charge. Ils protègent donc les batteries, mais tirent également le meilleur parti des conditions changeantes.
En détail
La technologie de contrôleurs de charge repose sur de l’électronique avancée. L’ouverture d’un contrôleur de charge montre bien qu’on est plus proche de l’ordinateur que des circuits inertes (Awesome Tech, 2020). On peut cependant comprendre ce que font ces instruments avec quelques notions générales d’électricité et d’optimisation.
Le rôle d’un contrôleur de charge MPPT s’appuie sur quatre notions importantes propre à tout circuit embarqué: les sources d’énergies varient, les besoins en énergie varient, les batteries n’aiment pas ces variations, et finalement, on aimerait tirer le maximum de l’énergie disponible pour charger les batteries.
Les trois premières idées expliquent pourquoi n’importe quel contrôleur de charge existe. C’est cependant sur le dernier point que les contrôleurs de charge MPPT se distinguent de la principale technologie alternative, soit les contrôleurs de charge PWM (« Pulse Width Modulation »). Si vous comprenez ces quatre idées, vous comprendrez le rôle d’un contrôleur de charge MPPT.
Les sources d’énergies varient
Sur tout bateau, les sources d’énergie varient en puissance et en ampérage. C’est particulièrement vrai pour les sources naturelles d’énergie telles que l’énergie solaire, l’énergie hydrique ou l’énergie éolienne: une heure ensoleillée produira davantage d’électricité qu’une heure à l’ombre. Similairement, une heure plus venteuse fournira davantage d’électricité qu’une heure où le vents sont faibles. La nature est changeante, si bien que la production d’électricité découlant de ces sources, mesurées concrètement par la tension et l’ampérage, sera également changeante.
Les besoins en énergie varient
Sans surprise, allumer ou éteindre des équipements affecte les besoins en puissance (qu’elle soit mesurée en wattheure ou en « ampère-heure », qui n’est rien d’autre qu’un wattheure divisé par 12). Allumer un équipement change donc l’ampérage sur un circuit. Mais allumer ou éteindre un équipement change soudainement les besoins d’ampérage, ce qui crée également une variation de voltage en changeant l’équilibre entre les différentes résistances internes du circuit. À puissance constante, la tension (voltage) sur le circuit diminue avec une augmentation de l’ampérage. Vice-versa, quand l’ampérage diminue, la tension augmente. Cette relation négative est à la base d’un arbitrage entre la tension et l’ampérage sur un circuit.
Les spécificités de l’ampérage et de la tension dépendront donc de la météo, mais également de la technologie à bord: la qualité des câbles électriques, les défauts des équipements et plus généralement l’état des circuits affectera l’état du voltage et de l’ampérage. Ce faisant, établir une éventuelle relation entre le voltage et l’ampérage se fera empiriquement, à l’aide de mesures du système… et pourrait même changer en fonction de l’état des circuits à bord. Derrière l’apparence de constance d’un système électrique installé, son état interne est bien dynamique!
Les piles ont des profils de charge spécifiques
Une pile n’est rien d’autre qu’une collection de mini usines chimiques appelées des cellules. Une cellule de pile est un arrangement de deux types de plaques de métal – anode et cathode – trempées dans un liquide conducteur (un acide). Lorsqu’on connecte ces plaques par un circuit électrique, une réaction chimique transfère des électrons de l’anode à la cathode, produisant alors un courant électrique.
Fondamentalement, c’est une réaction chimique au sein des piles qui génère du courant. Initialement, la réaction chimique se produit très rapidement parce que les électrons à la surface des plaques de métal sont très faciles à arracher. Cependant, au fur et à mesure que la réaction se produit, il faut de plus en plus de temps pour arracher les électrons. Cette dégradation de la réaction est à la base d’un profil de charge changeant avec l’état de la pile.
Chaque décharge de la pile rend la cathode un peu moins disposée à laisser aller les électrons tout juste acquis. Ce faisant, chaque décharge de la pile la rend un peu plus inutilisable. C’est notamment pourquoi les piles ont un cycle de vie, après quoi elles deviennent inopérantes. Si on laisse la pile se décharger entièrement – une « décharge profonde » – la cathode devient encore moins disposée à laisser aller ces électrons, réduisant davantage la durée de vie de la pile. La règle heuristique usuelle, davantage applicable pour les piles au plomb ou au gel, est d’éviter une décharge de plus de 50% de la pile pour prolonger sa vie.
Charger une pile consiste à renverser la réaction chimique, c’est-à-dire emmagasiner de l’énergie en ramenant les électrons à l’anode. C’est bien sûr fait en forçant un courant de charge. Au départ, la charge est très rapide, car on peut facilement coller des électrons sur la surface des plaques de métal. Mais après un certain temps, le processus est plus lent car il faut coller ces électrons aux endroits moins accessibles des plaques, soit sous la surface du métal.
C’est pour cette raison que la charge initiale des piles est rapide alors que les pleines charges prennent plus de temps. La règle heuristique usuelle (pour les piles acide-plomb ou les piles à gel) est que la charge rapide est sur les premier 80% de l’énergie stockée par la pile. Le 20% restant demande plus de temps. Finalement, si la pile est déjà chargée et qu’on applique bêtement un courant pour tenter de la charger de nouveau, on peut éventuellement chauffer la pile au point d’en dégrader son état et donc, sa capacité d’emmagasiner un courant.
En somme, les piles sont capables d’accepter une tension maximale de charge (au delà de quoi elles chauffent) et ont des profils de charge en tension et en ampérage qui varient selon leur état de charge. Leur charge demande donc des profils contrôlés selon leur état. Ces profils sont propres à la technologie des piles employées (piles au plomb et à l’acide, piles au lithium et piles au gel et plomb).
Un exemple de profil de charge est présenté ci-dessous, la charge rapide est illustrée au centre (« CC Fast Charge ») alors que la charge plus lente (« Constant Voltage Charge ») est tout juste après. On remarquera juste après une charge de maintien (souvent nommée « floating charge » sur les chargeurs) qui garde la batterie chargée. Cette charge de maintien est suffisante pour garder la pile chargée tout en évitant de l’endommager.
La plage entre 50% et 80% détermine un profil de stockage
Les paragraphes précédents ont discuté d’une plage d’usage des piles comprise entre 50% et 80%, dicté implicitement par la chimie de la charge et de la décharge. Bien que ce soit sans lien avec les contrôleurs de charge, c’est un bon moment pour souligner que cette plage est une bonne règle heuristique pour utiliser efficacement un système de piles. En restant au dessus d’une décharge de 50%, on préserve la durée de la pile. En restant en dessous du seuil de 80%, on facilite une recharge rapide.
L’idée est donc d’avoir un nombre suffisant de piles tel que leur capacité totale (en wattheure ou ampère-heure) fera en sorte que l’énergie disponible dans la plage de 50% à 80% soit supérieure aux besoins énergétiques entre les cycles de charge. Par exemple, un besoin journalier de 200 ah d’énergie, dicté par les besoins à bord et le fait qu’on ne souhaite pas démarrer le moteur plus d’une fois par jour, retiendra suffisamment de piles pour un stockage total de 667 ah (\approx 200 / (0.8-0.5)).
Les contrôleurs de charge
Les paragraphes précédents nous indiquent pourquoi un branchement direct d’une source d’énergie fluctuante sur les piles risque de les endommager. L’idée d’introduire un intermédiaire, un contrôleur de charge, prend l’ampérage et la tension fluctuante et la régule pour le mettre à l’intérieur des plages tolérées par les différents profils de charge d’une pile. Ce faisant, on prolonge leur durée de vie.
Ce qui distingue les contrôleurs de charge MPPT des contrôleurs de charge « ordinaires », c’est leur capacité à réguler le courant de manière optimale, c’est-à-dire de manière à fournir le maximum de puissance au circuit régulé par le contrôleur.
MPPT: l’optimisation de la puissance fournie
Un contrôleur de charge MPPT ajustera l’ampérage de manière à ce que la puissance soit maximisée. En faisant varier son ampérage, le contrôleur de charge MPPT peut également affecter la tension sur la boucle entre lui et la source d’énergie.
Puisqu’il existe une relation négative entre tension et variation subite d’ampérage, ce point de puissance maximale est (théoriquement) bien défini et détecté empiriquement par le contrôleur de charge. Ainsi, sur des intervalles de temps très courts (de l’ordre de la nanoseconde), le contrôleur de charge essaie différentes valeurs d’ampérage et retient celle qui maximise la puissance. Ce faisant, ils améliorent la puissance fournie aux batteries, permettant de faire un travail de charge plus important que des contrôleurs ordinaires.
Pour les matheux
On se rappelle que la puissance est le produit de l’ampérage et de la tension (P = I \cdot V). Également, il existe une relation décroissante entre tension et ampérage lorsqu’on fait varier l’ampérage. On a donc P =I\cdot V(I) avec V'(I)<0. La maximisation de la puissance par choix de l’ampérage passe donc par la condition de premier ordre:
V'(I)I + V(I) = 0 \Leftrightarrow -\frac{V'(I)}{V(I)} = \frac{1}{I}.
Le point de charge à puissance maximale est donc déterminé implicitement par l’expression ci-dessus, où la variation de tension, en pourcentages, est égale à l’inverse de l’ampérage. Les contrôleurs de charge MPPT identifient ce point empiriquement avec les conditions changeantes.
Les contrôleurs de charge MPTT: quossé ça donne?
En substance, un contrôleur de charge MPPT prolonge la vie des piles et améliore leur chargement. L’amélioration mesurée des contrôleurs varie entre 30% et 14%, selon les sources (Laguando & al, 2019; Renogy, s.d.). Les modèles vendus permettent généralement de s’adapter aux différentes technologies de piles à l’aide d’un menu de configuration.
Avec un prix variant entre 150$ et 500$, selon l’ampérage maximal et la marque, ce sont des produits intermédiaires qui s’établissent pour les économies qu’ils peuvent générer à long terme. À titre d’exemple, si deux piles générant une réserve de 400 ah coûtent un total d’environ 2000 CAD, l’investissement est rentable si les contrôleurs prolongent la durée de vie des piles de 25%.
Deux vidéos pour aider à comprendre le concept
Si vous comprenez l’anglais, les deux vidéos ci-dessous sont d’une grande aide pour comprendre le fonctionnement d’un contrôleur MPPT. Le vidéo de GreatScott! (2017) est d’une pédagogie exemplaire, notamment pour comprendre ce que sont les panneaux solaires et les contrôleurs de charge. Contrairement aux vidéos qui se concentrent sur l’installation, l’auteur se concentre sur leur fonctionnement du point de vue technique. J’ai personnellement compris la caractéristique fondamentale d’optimisation avec ce vidéo. Le vidéo d’AKIO TV (2022) est peut-être un peu plus conceptuelle, mais constitue un bon complément d’analyse.
Références
AKIO TV (2022). MPPT explained, vidéo YouTube récupéré en novembre 2023 à cette adresse.
Awesome Tech (2020). What’s Inside MPPT Solar Charge Controller, vidéo YouTube récupéré en Novembre 2023 à cette adresse.
Great Scott! (2017). Electronic Basics #29: Solar Panel & Charge Controller, vidéo YouTube récupéré en Novembre 2023 à cette adresse.
Laguanda M.A., Luna Paipa I. A., Bustos – Márquez, L. F. et S. B. Sepulveda – Mora (2019). Performance comparison between PWM and MPPT charge controllers, Scientia Et Technica, vol. 24, no. 1, pp. 6-11, 2019.
Monolithicpower.com (s.d.). Battery Charger IC Fundamentals, page web récupérée en Novembre 2023 à cette adresse.
Renogy Canada (s.d.). Rover 20/30/40Amp MPPT Solar Charge Controller 12V/24V, page web récupérée en Novembre 2023 à cette adresse.
Wikipedia (s.d.). La Loi d’Ohm, page web récupérée en ligne en Novembre 2023 à cette adresse.