Comment faire de la voile une activité où on peut gagner sa vie? Il y a quatre grandes approches possibles. On peut enseigner la voile, faire des convoyages, faire du travail complémentaire à la voile ou encore faire des croisières à voile. Ce court billet explore chacune de ses activités tantôt du point de vue marchand, tantôt du point de vue de la réglementation.
Enseigner la voile
Saisons oblige, l’enseignement de la voile est une activité estivale. En conséquence, le rôle d’instructeur de voile est un emploi d’été. À moins de vouloir descendre dans le sud pour donner des cours dans les Caraïbes, les revenus d’instructeur de voile permettent difficilement d’en faire un gagne pain perenne.
Au Canada, l’enseignement de la voile est règlementé. Il faut un brevet de compétence, faire partie d’une école reconnue et faire ses activités sur un voilier répondant à des normes. La norme TP15136 est la référence pour comprendre ce qu’il faut respecter. Elle précise les obligations des écoles de voile, structure les activités d’enseignement, précise les brevets d’instructeurs requis et détaille les exigences de sécurité des voiliers. Si on considère démarrer une école de voile, c’est une lecture (presque) obligée.
En substance, il faut que le voilier réponde à des exigences plus strictes qu’un simple voilier de plaisancier. Il faut également que les formations dispensées par l’école de voile soient approuvées par Transport Canada. Finalement, il faut que les instructeurs qui dispensent la formation aient un niveau de compétence requis pour donner la formation.
Les pré-requis centraux sont d’avoir une formation répondant à des normes d’instructeurs et d’avoir un voilier qui répond aux normes de sécurité. Mettre un voilier « aux normes » implique des investissements, particulièrement si on a des ambitions de formation éloignées des côtes (radeau de survie, etc.).
Au delà du voilier et des formations d’instructeur, le reste des obligations correspond à des formalités administratives. Elles ne sont pas nécessairement aisées, mais elles ne sont pas insurmontables. Il y a trois routes possibles.
La première – la plus facile -, est de se joindre à une école existante. Une école aura ainsi ses propres voiliers, un programme d’enseignement pré-établi et répondra déjà aux formalités administratives de Transport Canada. En contrepartie, une personne se joignant à une école de voile devra se conformer à ses pratiques d’affaires. Elle intégrera ainsi un cadre plus rigide.
Une autre route consiste à démarrer une école de voile en choisissant de se joindre à une franchise existante. Cette approche est plus flexible sur le plan administratif (tarification, gestion du voilier et des horaires, etc.), mais demande de s’en occuper! Des franchises, telles que Voile Canada ou la Royal Yachting Association, ont des structures de plans de cours et de formations établies, permettant d’ouvrir une école avec des programmes préfabriqués.
C’est ainsi plus facile de démarrer – on n’a pas à faire ses formations de toute pièce -, mais cela implique également que son école doit se conformer aux obligations commerciales de la franchise choisie. Ces dernières ont généralement des conditions pour devenir instructeur et les écoles doivent adhérer strictement aux formations de la franchise. Au Québec, la plupart des écoles de voile sont affiliées à la franchise de Voile Canada.
La dernière approche consiste à ouvrir son école de voile avec des programmes sur mesure. L’approche offre le maximum de flexibilité, mais demande également le plus de travail! Il faut soumettre une demande complète à Transport Canada, comprenant ses propres plans de cours et l’ensemble de sa démarche de formation. Sa volonté d’indépendance aura cependant un prix: les écoles de voile reconnaissent rarement les formations dispensées par une autre franchise.
Si on compare aux autres activités sur l’eau, la norme pour les écoles de voile est moins sévère que celles associées au transport de passagers. En substance, elle enlève les obligations commerciales qui ne peuvent s’adapter à des voilier destinés à la plaisance et elle n’oblige aucun titre de capitaine pour donner des cours. Par contre, elle limite les activités commerciales possibles aux cours de voile. Elle limite également les formations dispensées au plateau continental de l’Amérique du nord.
En principe, les écoles de voile n’ont pas le droit d’offrir des « excursions à voile » à des clients. Elles n’ont pas le droit non-plus d’offrir des cours de voile dans les Caraïbes. Dans le premier cas, l’activité n’est plus une formation, mais du transport de passager. Dans le deuxième cas, on sort du plateau continental nord-américain. En pratique, la règlementation n’empêche pas certaines écoles de donner des formations très (très!) courtes… et bien peu d’inspecteurs de Transport Canada se rendent dans les Caraïbes.
Un salaire d’instructeur de voile quillard oscille entre 14$/heure et 20$/heure, selon les brevets obtenus, l’expérience et les conditions de marché. Pour une saison estivale bien remplie, on peut ainsi envisager un salaire brut entre 3000$ et 5000$. Ces montants dépendent largement des pratiques des écoles de voile. Au delà des compétences d’instructeur de voile, on se rappellera également de l’importance du service à la clientèle: être sept jours à bord d’un voilier avec les mêmes personnes peut être un défi de bonne humeur.
Faire des convoyages
Convoyer un voilier, c’est le déplacer entre deux ports d’attache pour le bénéfice du propriétaire. On est payés pour amener le voilier du point A au point B. Il faut ainsi porter une attention considérable au bateau du client. On a cependant le luxe de choisir son équipage. Mais attention: les trajets sont souvent ceux que le client ne veut pas faire lui-même. Il faut s’attendre à naviguer … contre vents et marées.
Au Québec, les principaux convoyages suivent la côte est et la direction varie avec les saisons. En octobre, les convoyages se font du nord vers le sud et en mai, on fait la direction contraire. Comme la plupart des voiliers neufs sont de construction européenne, les saisons des ouragans influencent également les convoyages transatlantiques de bateaux. La saison des traversées de bateaux neufs de l’Europe vers les Caraïbes se fera au début du mois de novembre. Inversement, on convoiera des bateaux vers l’Europe à la fin de l’été (e.g. août).
Les gros fournisseurs de contrats de convoyages sont les compagnies de location telles que The Moorings ou encore Dream Yacht Charter. Ces agences sous-contractent leurs besoins à des affréteurs locaux, qui à leur tour recrutent des Skippers.
L’industrie du convoyage ne répond que rarement aux exigences réglementaires. C’est presque un marché clandestin. Techniquement, il faut une licence de capitaine pour le transport du voilier d’un autre. La législation qui s’applique dépend ainsi du pavillon du voilier et des eaux dans lesquelles il navigue. Un voilier canadien aura ainsi à respecter la Loi sur la marine marchande. Les entreprises canadiennes qui font ces activités auraient normalement à respecter les obligations fédérales en matière de normes du travail: salaire minimum, obligations du personnel maritime, etc. En pratique, rien de tout ça n’est sérieusement surveillé… jusqu’à ce qu’un accident survienne.
Les normes de convoyage sont autour de 2 USD à 3 USD par mille nautique. Ainsi, un convoyage de 1000 MN donnera une rémunération entre 2000 USD et 3000 USD. Cette rémunération est d’ordinaire donnée à l’affréteur (la compagnie responsable de recruter l’équipage) et la rémunération de l’équipage dépendra alors des pratiques de cette compagnie.
ll existe deux pratiques courantes: un skipper autonome qui agît à titre d’affréteur et qui recrute son propre équipage, ou une compagnie qui assemble l’équipage pour le client. Dans ce dernier exemple, la compagnie française CaptnBoat est la plus connue. On soulignera également le site américain FindACrew qui vise à apparier des bateaux à des équipages. Par contre, ce dernier site offre plus souvent des croisières non-rémunérées.
Et c’est la plus grande vérité des convoyages: à l’exception des Skippers, rares sont les postes rémunérés. L’offre excède largement la demande. Il faut donc trouver un Skipper prêt à partager la cagnotte, ou se résigner à prendre de l’expérience pour ensuite devenir Skipper.
Il n’y a pas de recette magique pour se lancer dans les convoyages. Un Skipper qui réussit connaît les affréteurs, est prêt à travailler à peu de frais… et ne brise pas les bateaux des clients!
Réparer des voiliers
La réparation de voiliers passe par la connaissance des systèmes embarqués. Il s’agît principalement de pouvoir travailler sur de la fibre de verre, sur des moteurs, sur l’électricité, la plomberie ou sur les boiseries. C’est un travail où on devient généralement spécialiste d’un seul aspect (e.g. spécialiste de fibre de verre). Les taux horaires sont d’ordinaire élevés (40$ à 80$/heure, selon) et c’est possible d’en faire un travail. En particulier, si on est prêt à se munir d’un garage chauffé, on peut faire du travail à l’année longue. Ce genre de personnel semble en manque dans les marinas. Sur le plan des affaires, c’est comme n’importe quel emploi, ou n’importe quelle entreprise. Parce qu’on est sur terre, bien peu de réglementation spécifique s’applique. On remarquera justement qu’on est bien loin des eaux limpides et du vent dans les voiles…
Faire des croisières à voile
Les croisières à voile relèvent du transport de passager. Il faut ainsi assujettir son voilier à la règlementation sur les petits bâtiments commerciaux et détenir au minimum d’une certification d’opérateur de petit bâtiment. Comparativement aux écoles de voile, les exigences sont plus importantes à la fois pour le voilier et pour l’opérateur (capitaine), car elles intègrent le giron des activités commerciales.
La certification d’opérateur de petit bâtiment n’est pas particulièrement difficile à obtenir. C’est une formation théorique de quatre jours. Elle ne rend pas nécessairement son détenteur apte à conduire son embarcation, mais elle lui donne les compétences théoriques pour naviguer de manière sécuritaire. C’est l’équivalent commercial de la « carte bateau ». À cela, il faudra ajouter des formations de sécurité du personnel (tels que le cours de sécurité de base STCW).
Si le voilier et l’opérateur sont conformes, les limites d’activités commerciales sont moindres. Contrairement aux normes des école de voile, il devient alors possible de faire des croisières, des excursions ou même des séjours de vacances à bord.
Il est plus difficile de donner un ordre de grandeur des revenus possibles, car les possibilités commerciales sont beaucoup plus grandes. On peut faire des excursions pour voir des baleines ou des voyages plus longs! C’est l’approche qui donne le plus de liberté. On portera cependant attention à la réglementation exigeante pour les bateaux transportant des passagers: ce n’est pas n’importe quel voilier qui peut satisfaire ces conditions. En particulier, c’est difficile de respecter ces normes avec un voilier usuel de plaisance.
Un avantage d’une formation commerciale est qu’elle constitue une porte d’entrée vers des titres commerciaux plus sérieux (Capitaine 60, Capitaine 150, etc), si le capitaine est bien sûr prêt à progresser en allant chercher les exigences additionnelles associées à ces brevets (examens du personnel maritime). On peut alors suivre des formations à l’école, tel qu’à l’Institut Maritime du Québec. C’est cependant difficile de s’y retrouver sans parler à des personnes d’expérience.
Si on est prêt à sortir du Québec, l’univers des croisières-vacances est beaucoup plus large. J’ai déjà rédigé un billet sur l’expérience d’être Skipper au sein d’une compagnie de location de voiliers. C’est une lecture complémentaire intéressante aux descriptions ci-dessus, un peu plus centrées sur le marché canadien.
Cours ou Croisière?
Au Canada, il est plus prudent de démarrer avec un titre commercial. Il sera généralement reconnu dans le monde de la plaisance. En revanche, il sera plus difficile à obtenir… et c’est peut-être un gros engagement pour une personne qui songe à un travail d’été. La certification est également conçue pour les bateaux à moteurs, bien loin de la voile. La période de formation sera donc un passage à vide.
Contrairement à la législation européenne, la législation canadienne offre bien peu de ponts pour passer des certifications de plaisance à des certifications commerciales. Le monde des instructeurs de voile est complètement séparé du monde de la marine marchande. Il faut donc choisir et planifier en conséquence.
En Europe, on peut obtenir un « adossement commercial » à ses brevets de voile de plaisance, ce qui permet de passer de la plaisance aux activités commerciales. Le marché canadien de la voile est certes restreint par les saisons, mais il y a peut-être matière à s’inspirer de l’Europe.
On soulignera peut-être quelques manques à ce texte. Il n’évoque nullement des modèles émergents pour gagner sa vie, notamment les producteurs de vidéos YouTube à voile, ou le personnel à bord des Yachts de grande taille. Voyez-vous d’autres moyens de gagner sa vie à voile?