Descendre le Fleuve St-Laurent à voile

L’essentiel du trajet entre Québec et Gaspé.

Nous sommes partis de Québec à la mi-juillet, avons fait un arrêt de quelques jours à l’Anse St-Jean, puis sommes descendus jusqu’à Gaspé selon les aléas de la météo. Trois semaines plus tard, nous voilà rendus à Gaspé, à l’arrêt pour quelques jours le temps de faire des travaux. Voici un avant-goût pour ceux et celles qui aimeraient reproduire le périple.

Le Fleuve et son monde

Source: compte Instagram de Fannie Desmarais.

L’histoire est remplie de rencontres fascinantes, allant des maître de ports à des artistes du coin, montrant à quel point la croisière par le fleuve est riche en rencontres et en découvertes culturelles.

Nous avons croisé des gens de différentes écoles de voile, vu des participants de la régate Cap à l’Est, assisté à un spectacle de Québec Redneck Bluegrass Project, participé au Festival de musique du Bout du Monde et testé la connexion wifi d’au moins trois millions de cafés (au moins trois millions de café, comprends-tu?). Nous avons échangé avec des travailleurs de Transport Canada, des pêcheurs et du personnel de la Garde côtière canadienne. Beaucoup de monde aidant et débordant de bonne humeur.

« Pantera Artic Cat Triple 800 » de Québec Redneck Bluegrass Project. Source: compte YouTube de Gravel Freeman.

Jean-du-Sud étant un bateau relativement connu, nous avons également discuté avec beaucoup de curieux/ses ou de marins impatients de nous conter leur lien ou leur histoire avec le bateau: « J’ai moi aussi un CapHorn! », ou encore « Nous avons changé les règlements de régate [entre Gaspé et les Îles-de-la-Madeleine] à cause de Jean-du-Sud », ou encore « Est-ce vous qui tenez un blogue sur l’installation d’un moteur ? ». On a aussi droit à des affirmations aussi cocasses que maladroites: « Pourquoi nommer votre bateau comme celui de M. Gélinas?!? ».

Nous aurons aussi constaté que Jean-du-Sud a marqué l’imaginaire de la voile du Québec. À Rimouski, deux noms de bateaux ont attiré l’attention (photo ci-dessous). Le propriétaire de « Gens du Nord » a bien pris la peine de venir nous dire que son bateau fut nommé sur la base du Jean-du-Sud. Quant au bateau « Saint-Yves », on ne peut que spéculer sur la référence…

Voilier « Gens du Nord ». Credit: Pier du Sud (2024).
Voilier « Saint-Yves ». Le patron des marins? Crédit: Pier du Sud (2024).

Nous aurons vu des bélugas, des rorquals communs, des phoques, des fous de bassans, des mouettes, d’autres animaux qu’on est incapables de nommer, et des belles plages de galets qui donnent envie de rester un peu plus longtemps.

Notre navigation était conditionnée par la vitesse de coque de Jean-du-Sud, nous forçant à faire des « petits sauts » de 35 à 45 milles nautiques par jour, et nous obligeant à faire plus d’arrêts que peut se le permettre un bateau plus rapide de 40-45 pieds. Un texte spécifique sur les mouillages du St-Laurent, en collaboration avec Zac Harie (voilier Vela 1) et Bastian Raulier, sera disponible à la mi-août. En rétrospective, nous aurions dû arrêter davantage… et plus longtemps. Un voilier n’a probablement pas assez de l’été pour se fatiguer du fleuve.

Soulignons le travail d’Anne Bilodeau, aquarelliste de Matane, qui aura dessiné Jean-du-Sud pendant notre passage (ci-dessous). Également, nous avons bien aimé le travail de Fannie Desmarais, de Gaspé, dont une des illustrations (à droite, ci-dessus) est désormais à bord de Jean-du-Sud.

« Jean-du-Sud », aquarelle d’Anne Bilodeau, Matane 2024.

Tactiques de navigation

La navigation sur le fleuve se caractérise en deux segments distincts, soit le leg entre Québec et Matane (ou Baie-Comeau, au nord) et le leg entre Matane et Gaspé. Dans le premier, c’est les courants qui dictent la navigation. Dans le second, c’est l’état de la mer.

Québec à Matane

Dans le premier leg, ce sont les courants de marée qui dictent les fenêtres journalières de déplacement. Comme nous descendions le fleuve, nous exploitions au maximum les courants de jusant et les vents du Suroît. Ça nous aura valu de belles navigations en vent arrière. Jean-du-Sud est un bateau relativement lent (5-6 noeuds à la surface), et nous visions des segments de navigation qui maximisaient l’usage des courants de marées descendantes pour avancer. Dans ce contexte, notre première règle heuristique consistait à partir plus ou moins une heure après la marée haute locale, soit le début des courants descendants. (On portera cependant attention à l’entrée du Fjord, qui demande une planification différente. On consultera les instructions nautiques au besoin.)

Capture d’écran de l’application de l’OGSL.

Nous avons aussi remarqué, en chemin, que les courants indiqués par l’application « Boating » ne reflétaient pas adéquatement l’évolution des courants de marées. Navionics travaille à l’échelle mondiale, et le Service Hydrographique du Canada n’a rendu public son interface de connexion que cette année, si bien qu’on leur pardonnera à court terme ce problème d’intégration. Il faudrait cependant qu’il soit corrigé pour en faire un instrument fiable.

L’Atlas des courants demeure une source officielle utile à l’étape de planification, mais sur le pont, en navigation, nous avons rapidement apprécié la convivialité de l’application de navigation de l’Observatoire Global du St-Laurent (OGSL, image à droite). Non-seulement l’application estime les courants en temps réel, mais elle cadre immédiatement les informations autour de votre position obtenue par le GPS de votre appareil. Ce n’est pas très long de s’habituer à l’interface de lecture de l’information. On souhaiterait seulement que le curseur permettant de déplacer les heures de prévision soit un peu moins têtu.

Source: Boating et Service Hydrographique du Canada.

Si vous comptez traverser le fleuve d’une rive à l’autre sur ce leg, il faudra certainement planifier la dérive de courant causée par les marées.

À titre d’exemple, l’image de gauche, une capture d’écran de Boating pendant notre traversée du fleuve, illustre la différence entre là où pointe Jean-du-Sud (la ligne blanche au cap 309° vrai) et là où va Jean-du-Sud (la ligne rouge, environ 010° vrai). Pour nous rendre au « Haut Fond Prince », soit l’entrée du chenal de Tadoussac, il fallait viser le 309° à partir de l’Ile aux Lièvres. Cette visée est calculée et intègre la dérive causée par le courant, ce qui nous permet d’arriver à l’endroit désiré.

C’est préférable de planifier cette navigation… plutôt que de dépasser l’entrée et de « rusher » son retour à moteur. Encore faut-il savoir lire son application de navigation… et savoir quels calculs faire à la planification.

Sur le plan des prévisions météo, le modèle européen de prévision des vents, disponible via PredictWind ou Windy, s’est montré beaucoup plus fiable que d’autres modèles météo, incluant ceux d’Environnement Canada. Nous avons quand même intégré les prévisions et avertissements officiels d’Environnement Canada à notre routine de planification, mais si les informations divergeaient du modèle européen, nous mettions, avec le temps, de plus en plus de poids sur ces dernières. La seule exception à cette affirmation générale est en lien avec le Fjord du Saguenay, où les spécificités sont mal reproduites par des modèles à grande échelle.

Signalons également qu’entre Tadoussac et Rimouski, il est très probable que le brouillard soit au rendez-vous. On appréciera un radar, un AIS ou même une connaissance des signaux sonores à la corne de brume!

Matane à Gaspé

Le début du détroit d’Honguedo, la partie la plus au nord de la rive sud. Source: OpenCPN et Service Hydrographique du Canada.

Dans le deuxième segment de navigation, nous avons surtout surveillé l’ampleur des vagues, et à quel point la mer était formée. Ça n’est pas impossible de naviguer par mer de plus de trois mètres, mais sur un bateau de 30 pieds, ce n’est pas exactement le confort! Ce faisant, nous avons choisi nos fenêtres de déplacement surtout en fonction de l’évolution des vagues. À cet égard, les prévisions maritimes d’Environnement Canada se sont avérées fiables.

Les vagues (et les réunions) nous aurons fait arrêter à Grande Vallée, une baie bien protégée, pour quelques jours. Le passage entre Mont Louis et Grande Vallée est la partie la plus au nord de la rive sud du Fleuve. Ce faisant, la navigation est directement exposée au Suroît et aux vagues, avec très peu de protection. Il est donc préférable de préparer sa voilure et son estomac en conséquence… ou de prendre son temps. Passé Grande Vallée, la navigation est protégée, parce que la côte redescend au sud. Notre plus beau segment de navigation fut assurément entre Rivière au Renard et Gaspé. Passer le « Bout du monde » (la pointe du Parc Forillon, photo ci-dessous) est assurément marquante.

Le Bout du monde. Crédit: Pier du Sud (2024).

Quelques cafés où travailler

Il vient un temps où sortir du bateau fait du bien. S’installer dans un café pour travailler a certainement fait partie de nos routines pour vivre à bord et changer d’air. Ci-dessous, une liste de cafés sympathiques qui permettent de s’installer quelques heures pour travailler.

LieuLieu de travail
TadoussacCafé l’Abri Côtier
L’Anse St-JeanNuances de Grain.
Ste-Anne-des-MontsMicrobrasserie le Malbord
Grande ValléeCafé Boutique Pub
Rivière-au-RenardMicrobrasserie le Frontibus
GaspéLe Café des artistes
Source: compilation de Pier du Sud.

Jean-du-Sud et Gaspé

Yves Gélinas et Jean-du-Sud, le 9 mai 1983, à la marina de Gaspé.

Il y a quarante et un ans, Jean-du-Sud et, Yves Gélinas terminaient leur tour du monde. Cette arrivée historique a certainement conditionné notre passage à Gaspé (aussi, le Festival du Bout du monde).

Nous avons eu la chance de croiser des personnes qui y étaient les deux fois, aujourd’hui et il y a quarante et un ans, de même que de nombreuses personnes curieuses de voir le bateau. C’est le propre des histoires de marins: elles sont toujours divertissantes.